pharmaland le jardin des futurs pharmaciens
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Athéna
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Le crève-cœur
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Le crève-cœur
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime28/06/10, 07:38 pm

Merci à toi Manar, voici la suite:

Le lendemain matin, on s’est retrouvé, comme c’était convenu, à la promenade du front de mer. L’avenue était déserte, peu d’oranais s’y trainent l’hiver. Il y avait quand même un couple de septuagénaire, taiseux et pensifs, installé l’un à coté de l’autre sur l’un des bancs publics que la municipalité avait planté le long de l’avenue. Je les ai longtemps observés avant que Ali ne radine. Ils s’étaient déjà tout dits apparemment ces deux là, tout promis, tout racontés, ils se taisaient à présent. Peu de mots suffisent aux vieux. Un « à bientôt » au moment de passer, et puis c’est tout, voilà ce qu’ils leur restent d’intéressant et de nouveau à se dire, les vieux, alors, ils l’ajournent, ils la diffèrent, leur ultime vérité, celle qui les tient encore en vie, à plus tard, à quand la mort viendra les surprendre, c'est-à-dire dans quelques mois, voire quelques semaines, voilà tout.

Mais pour l’instant, nous autres jeunes, des vérités, on en avait plein à se dire et à faire sonner, et à découvrir encore, sur l’autre rive de préférence, et il fallait qu’on aille voir Dahmene, le type chargé de la liaison clandestine entre Oran et les cotes espagnoles, avec qui Ali est entré en contact la semaine d’avant pour arranger son évasion. Il avait un autre client à lui proposer. C’était moi.

On a été le cherché Dahmene à son domicile d’abord, puis comme son morveux de môme nous a dit qu’il était sorti faire des commissions, on s’est rabattu sur le souk d’à coté, là où chaque dimanche les pêcheurs et les fellahs de la ronde se donnent tout le mal du monde pour fourguer leurs marchandises à de sourcilleuses ménagères, vigilantes et précises, sans jamais y parvenir. Lui aussi était pêcheur, Dahmene, mais il avait bazardé son trémail un soir qu’il avait été las d’attendre qu’il remonte ses filets avec un trésor dedans, m’a appris Ali à son sujet, et il s’est fait passeur. Un seul voyage lui rapportait, parait-il, l’équivalent de cinq à six quintaux de sardine vendus au prix fort, alors qu’en moyenne la prise d’un pêcheur de son acabit ne dépasse que très rarement les 20 kilos, j’imagine qu’il n’a pas hésité longtemps le Dahmene avant de faire sa conversion. Pendant que Ali me dressait le bilan chiffré sur les profits comparatifs des deux métiers, ceux qu’a exercés ce fameux mec, il l’a aperçu, parmi la foule négociante des vendeurs de navets, de concombres, de sardines et des acheteuses économes et circonspectes. On est allé vers lui.


-Bonjour Dahmene, ça va ??

-Saha 3li, ça va el hamdoulillah, t’es venu faire tes courses avant la grande escapade ?

-Non, non j’ai tout préparé, je suis prêt déjà…J’ai été chez toi… le petit nous a dit que… Enfin, je veux m’entretenir avec toi, est-ce possible ?

-A quel sujet ?

-Eh bien voilà, je te présente, Samir, Samir Benboudjemaa, un gars du quartier, un bon copain…

Il m’a regardé un moment, puis il m’a tendu la main. Je lui ai donné la mienne. Il me l’a serré vigoureusement, "Enchanté ! Moi c’est Dahmene !". Il avait l’air d’être content. Il a tout compris, il y avait de quoi être content. Un passager de plus, c’était dix briques de gagnées. Pensez à la gueule qu’il aurait fait s’il n’avait aucun bénéfice à tirer de cette poignée de main.

Pognon d’abord, les bons sentiments, les amitiés, les amours, c’est pour après, on peut toujours en discuter, y débattre, être pour ou contre, les remettre en cause, les suspecter, les nier, tandis que dix briques, c’est dix briques, ça n’admet pas l’ombre d’un doute, c’est vrai et c’est concret, ça ne peut pas être sujet à caution les histoires de pognon. Non, jamais.


à suivre
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime08/10/10, 05:34 pm

Hum hum, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonjour. De retour parmi vous, je viens finir la nouvelle laissée en rade. A bientôt.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime08/10/10, 05:46 pm

salam !

Très intéressant Embarqués 644850


on attend la suite .
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delpiero
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime08/10/10, 05:49 pm

j ai aimé ton style d’écriture
on attend la suite
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Athéna
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime08/10/10, 06:48 pm

Classique comme histoire mais j'avoue que c'est pas mal pour un amateur!! vivement que je lise la suite!!
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime08/10/10, 11:47 pm

Je suis nouvelle sur le forum, mais j'ose me permettre une petite intrusion dans cet univers bien narré. Je suis une simple lectrice et une nouvelle ou un roman ou quoique ce soit la nature de cet écrit doit suivre une certaine cohérence. Avez-vous déjà été à Oran? Je n'ai jamais entendu le prénom de Dahmène ici ni le mot Saha c'est typiquement DZ Smile. Sinon, le sujet de cet écrit semble archaïque et déjà usé tant de fois, ne tombez surtout pas dans la banalité et surprenez-nous avec une narration originale. Je répète que je suis une simple lectrice et que mon avis peut ne pas avoir de poids lol. Mais, je vous confierai que la première des choses qui m'a marquée dans ce forum ce sont ces écrits alors continuez.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime09/10/10, 12:21 am

Jdrrr cette histoire Le crève-cœur!! Vrmt originale!! Embarqués 652619
On attend la suite avc impatience!
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime09/10/10, 08:48 pm

Je vous remercie tous pour votre accueil chaleureux. Nomorecry, permets-moi déjà de te tutoyer (je t’invite à en faire autant lors de tes prochains commentaires). Le phénomène des harragas est d’une actualité brûlante et je ne vois pas en quoi il est archaïque. Si par archaïque tu veux dire qu’il a été traité abondamment par des écrivains, je te rétorquerai qu’un sujet, en littérature, ne s’épuise pas au nombre de fois que des écrivains se sont penchés dessus, "le style étant à lui seule une manière absolue de voir les choses". L’histoire de Tristan et Yseult, La princesse de Clèves, et, et et…. n’a pas empêché Cohen d’écrire Belle du seigneur, l’un des plus beaux roman d’amour du XX siècle. J'ai envie de te dire qu'il en est de même en peinture, une nature morte d'un Caravge n'est pas la même que celle d'un Cézane, et pourtant, ce n'est qu'un tableau représentant une corbeille avec des fruits dans un cas comme dans l'autre.

Sinon, la nouvelle, qui n’est pour moi qu’un genre littéraire mineur, de par ses exigences formelles (brièveté et donc nombre d’événements et de personnages limité) n’incite pas à l’innovation. Tu noteras que le roman se prête mieux à ce genre d’exercice. Aussi, ne t’attends pas à ce que tu sois surprise en lisant une nouvelle mais juste à être embarquée comme dirai le crève-cœur lol.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime10/10/10, 05:56 pm

La nouvelle un art mineur? Je crois que boule de suif aurait mordu ses lèvres lol, la chèvre de Mr seguin t'aurait attaqué en entendant ces mots. La nouvelle est étonnante en soi, le concept lui-même est magnifique. Ecrire un roman est un exercice difficile mais la nouvelle reste authantique par la créativite de l'auteur et son intelligence littéraire. Quoi que vous puissiez écrire tout est majeur! La prose, le poème, la nouvelle, le roman tout est majeur quand votre coeur se crève pour se libérer des tourments des questions qui le tirent vers le bas... Juste souffler une vie sur des pages vierges reste en soi un art que nul ne peut appeler mineur.
Pour ce qui est d'archaique, je n'ai point dit que toi tu l'étais ou que ton histoire l'était, je voulais te dire que comme ce sujet a été traité par un tas de médias, je souhaite le retrouver dans un livre mais dans un moule original bien spécial. Je tiens aussi à préciser que je suis la première à dire qu'uacun sujet ne s'épuise tant qu'on sait le révéler lui donner une autre dimension par une plume experte ou un pinceau avide de créativité. Voilà, j'espère que nous nous sommes compris? Ehhh oui les nouvelles m'embarquent et m'étonnent... Le mur de Sartre m'a marqué. Et voilà que j'ai écrit un journal, je suis incorrigible grrrrrrr.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime10/10/10, 06:17 pm

Qui a dit que la nouvelle était un art mineur?? lol

Relis-moi tu verras qu'il n'a pas été question d'art mineur mais seulement de genre littéraire mineur, ce qui est totalement différent.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime10/10/10, 06:53 pm

vous avez du talon
merci pur le partage.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime10/10/10, 09:20 pm

Quelle est la différence? Que voulais-tu en disant ne t'attends pas à être étonnée par une nouvelle? N'est-ce pas une dévalorisation pour la nouvelle? Bref quoique tu puisses penser, el mouhim c'est comme disent tous tes lecteurs tu as du talent, ta plume te défendra de toutes critiques. Et j'espère que tu as l'intelligence de comprendre que ma remarque n'était pas une critique car je ne suis rien nada 0 dans ce vaste monde littéraire Smile
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime22/12/10, 01:52 pm

Pour les amasser, en seulement trois jours, les cent dix mille balles, je pouvais m’y prendre de deux façons : soit, à la régulière, c'est-à-dire en occupant le poste de PDG à la Sonatrich, florissante société nationale, symbole de richesse et de prospérité, dont le directeur venait fâcheusement d’être écroué pour une sale affaire de malversation, et en m’appliquant, bien entendu, nuit et jour, durant la courte période de mon exercice à en escamoter frénétiquement les fonds. Soit en tapant d’un seul coup famille, amis et voisins. Enfin, tous ceux que j’étais en mesure d’apitoyer par le récit farfelu de quelques menus et piètres drames imaginaires dont j’eusse été l’improbable victime. N’étant par nature pas très ambitieux, je me suis résous à commettre le vol qui était le plus à ma portée, la rapine de basse condition, en douce, sans bruit et sans gloire. On risque moins avec les hommes qu’avec leurs symboles, c’est mon avis.


Au terme de ma vaste entreprise de filouterie, j’ai réussi à collecter les quatre cinquième de la somme exigée par le passeur, c'est-à-dire 8 millions de centimes, ce qui était déjà une petit fortune en soi et que je me plaisais, pour en faire ressortir plus d’argent qu’il y en avait réellement dedans, à diviser en de multiple et épaisses liasses de 200 dinars. Décidément, je cédais aux vices des riches. Je m’amusais également à les éparpiller sur mon lit, ces billets puant la misère de leurs donateurs, comme ça, à m’en mettre plein la vue, ou à les jeter comme des confettis dans l’air rien que pour avoir, besogne hautement béatifique, à les arranger de nouveau par la suite, par gros paquets compacts et minutieusement sanglés. J’en profitais physiquement pour ainsi dire, seule manière pour moi de jouir de ce trésor nycthéméral et chimérique qui ne m’aurait appartenu finalement qu’une seule nuit. Je n’en demandais pas davantage. De la jouissance et du bonheur, j’en avais eu beaucoup plus que ma solde de miteux n’en permettait.


La veille de notre départ, on s’est fixé rendez-vous au Fantasia, tous les trois, à dix neuf heure, pour effectuer la transaction. J’ai retrouvé Ali d’abord, place d’armes, où trône sur un espèce d’obélisque une nymphe ailée qui n’en finissait pas, depuis 1898, d’offrir en spectacle ses seins pointus. C’était la Gloire qui venait immortaliser le souvenir de quelques soldats, d’abord français, jusqu’en 1962, puis musulmans après cette date, m’avait appris Ali un jour à ce propos, mais qui se massacrèrent si superbement au cours d’une bataille en 1848 qu’aucun, ni parmi les uns, ni parmi les autres, et même que, figée dans sa sollicitude métallique, la nymphe aux seins nus n’a cessé depuis 100 ans de les glorifier, n’en fut revenu. Si mourir est absurde, mourir pour quelque chose, l’est davantage. Mais ce n’était pas de la faute à ces messieurs d’avoir péri de la sorte, c’était le vice de l’époque de se dépêcher, comme ça, de crever magnifiquement.


J’ai rejoint donc Ali à cette fameuse place. La nuit était déjà tombée. Les réverbères plantés autour des plates-bandes éclairaient le square de leur lumière faiblarde et diffuse. J’avais placé mon butin dans un cabas noir que je portais péniblement par une bandoulière sur mon épaule. Ce n’est qu’à ce moment que je mesurais le désagrément, physique aussi, de mon fétichisme pécuniaire : en billet de 1000 dinars, le cabas aurait été 5 fois moins lourd.


-Alors ? Tu as réussi à l’avoir ? Le reste ?


-Non, que j’ai répondu, je suis resté à 8. Tu penses qu’il va refuser ?


-Ca va, ça va ! Qu’il me fait excédé, je vais essayer d’arranger ça, ne restons pas ici, m’enjoint-il,


Nous avons pris la rue Si El Haoues par laquelle il en vient toujours des passants à cette heure, des pieux de préférence, sortis tout droit de la mosquée après la prière du soir. Ces mystiques se rendaient en si grand nombre à la prière, qu’ils auraient été capables de pulvériser des montagnes rien que par la force mentale, c'est-à-dire en y pensant fort tous à la fois, en communion, pendant leur incantation verbeuse. Mais il n’en était rien. Sans doute qu’ils avaient d’autres préoccupations, les mystiques. Chacun d’eux devait, dans l’intimité sacrée, tirer la couverture à lui. Ni vu, ni connu. Chacun pour soi. C’est entendu.

Nous avons été au Fantasia ; lieu de notre rendez-vous, en moins de deux. On avait mis de la musique ce soir-là, c’était Ahmed Ouahbi qui gémissait encore de sa voix étouffée la même plainte sur ses amours qui n’en finissaient pas de mourir et puis de ressusciter et puis de mourir encore, en boucle, à chaque fois qu’on remettait la chanson. Fat li fat weli fat mat we dikrayate ensiha wem’hiha qu’il ralait, et tout cela si tristement, qu’on aurait juré qu’il allait rendre l’âme après chaque couplet,


Ce qui passe

Est Passé

Ce qui passe

N’est déjà plus

S’oublie et s’efface

Nos souvenirs

Sont révolus

C’est ainsi qu’il pleurait incessamment le temps perdu Ahmed. Pas du tout sérieux, en somme.


Dahmène était là, il nous attendait. Il a frétillé de toute sa moustache lorsqu’il nous a vus : Le cabas pendait à mon épaule. Il était tellement lourd que j’en faisais la grimace. Il a du lire ça sur mon visage. Lourd de pognon, c’est comme ça qu’il les aimait les cabas, Dahmène. C’était un type qui ne pleurait pas le temps qui passe.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime22/12/10, 10:51 pm

il y a trop d'humour ! et puis la description des lieux est parfaite !
c'est trop bien, bonne continuation !
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime12/01/11, 04:00 pm

Merci Nana,

Dahmène était là, il nous attendait. Il a frétillé de toute sa moustache lorsqu’il nous a vus : Le cabas pendait à mon épaule. Il était tellement lourd que j’en faisais la grimace. Il a du lire ça sur mon visage. Lourd de pognon, c’est comme ça qu’il les aimait les cabas, Dahmène.


Nous nous sommes assis après lui avoir serré la main. Il les avait grosses et racornies avec d’énormes doigts noueux. Les engelures. On aura beau dire, c’est à leurs mains qu’on reconnait les pauvres gens, parce que la misère leur tape de préférence dessus des fois qu’ils voudraient, par la force des bras, lui échapper. Il nous a invités à prendre le café avec empressement. Deux cafés ! A-t-il intimé en gueulant à l’endroit du serveur.


Lorsque nous avons fini d’échanger des amabilités et de trouver qu’il faisait un peu chaud pour la saison en nous inquiétant faussement sur les origines obscures de pareilles inconstances météorologiques, Dahmène s’est mis à nous parler de ses marmots et de sa femme qui lui en a, semble-t-il, tellement pondu qu’elle en avait l’utérus tout pété à présent :


-Ah Vous comprenez ! Huit gosses et leur maman qui plus est malade d’en avoir tant mis au monde !! Ça en fait un tas de bouches à nourrir ma foi ! S’exclamait-il en cherchant fixement sur nos visages des mimiques approbatives. On acquiesçait, naturellement. Mais l’ogresse de maladie qu’elle a dans le ventre, poursuivait-il, bouffe en médocs plus qu’il faut de vivres pour entretenir un bataillon entier, vous comprenez ?


C’était sa manie de s’assurer à tout-va qu’il n’était pas le seul à n’avoir pas compris les malheurs qui lui tombaient dessus. Nous autres non plus, on ne comprenait pas. On a toujours du mal à comprendre les soucis des autres. On faisait semblant. Ali hasardait un commentaire de temps à autre. Moi, Je comprenais en silence.


- Le médecin dit qu’il faut l’amputer de son utérus ! Ça coute cher des interventions comme ça, n’est-ce pas ? Je veux bien moi qu’on l’ampute seulement il parait qu’elle pourra plus faire d’enfants après ça… Vous comprenez ?


Il semblait regretter qu’on ne pût la sauver autrement qu’en annihilant sa fécondité, seule vertu qu’il connût jusqu’alors à une femme. Mais après ? Comprenez-vous ? Une femme inféconde, j’en ferai quoi ? Je préfère encore un marmot, ça bouffe beaucoup moins et ça peut travailler dès que ça a 10 ans….. a-t-il constaté pour illustrer son propos.


À mesure qu’on se vautrait ainsi dans les sornettes benoites ou tragiques de la politesse et de la confidence primesautières, je découvrais avec beaucoup de dégoût jusqu’à quel point les hommes deviennent inintéressants dès le moment où ils cessent de tâcher de vous être utiles. Seules les deux ou trois phrases qui résument ce qu’ils peuvent pour vous, sont dignes d’intérêt, tout le reste n’est que chiqué dont peut se passer sans peine. Je mesurais, en effet, ma propre nullité, énorme et accablante, et précieusement cultivée par mes talents de glandeur invétéré. 22 ans d’oisiveté, il faut croire que j’en avais la vocation. Ecœuré par tant de manières, j’ai tenté de reprendre la discussion par le bon bout,


-Voilà, j’ai l’argent, j’espère qu’il vous profitera pour sortir votre femme de sa maladie


-Au fait, a ajouté Ali sur le ton de quelqu'un qui s’excuse, il n’a réussi à avoir que 8 millions j’espère que cela ne vous dérange pas outre mesure, c’est un bon ami à moi, et puis il est orphelin de son père…..( ce qui était évidement un mensonge)


A ma grande surprise, il n’a pas fait le difficile. Il a juste exigé que je ne dise rien à propos de ma ristourne aux autres passagers qui risqueraient de se mutiner si jamais ils l’apprenaient.
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MessageSujet: Re: Embarqués   Embarqués Icon_minitime02/02/11, 08:14 pm

J’ai crié « à l’aventure ! » pour faire un peu comme dans les films puis j’ai couru dans la nuit vers la langue de sable où je devinais les silhouettes fricoteuses de mes futurs camarades. Dahmène m’a vite rappelé à l’ordre en m’engueulant vivement dès que je les ai eu rejoints pour mon incartade hipipipouesque.


On n’est pas dans une colonie de vacances ! D’accord ? M’a-t-il intimé froidement.


Cette réflexion, bien qu’elle me déplût énormément en ce qu’elle m’a été faite en présence des autres qui s’en sont marrés comme des couillons, m’a comme arraché d’un seul coup à mon délire hollywoodien.


Il faut dire que depuis la veille, je tenais secrètement dans ma tête un petit scénario où il était question de me mettre à la proue du navire et de gueuler à m’en époumoner ‘Je suis le roi du monde’. C’est ridicule, je sais. D’abord parce que notre navire ne ressemblait en rien au Titanic. C’était une felouque, juste bonne à flotter, et qui serait passée à la renverse au moindre mouvement. Et puis ensuite parce que même dans le film, Jack, le héro s’il m’en souvient, ne se serait pas hasardé à dire pareille connerie si c’était Dahmène qui donnait la réplique parmi les rires étouffés des autres imbéciles. Ils étaient cinq en tout, Ali inclus. Je distinguais à peine leurs visages au clair de lune. Mais le peu qu’il m’a été donné à voir a suffi pour me convaincre qu’ils étaient tout ce qu’il y a de plus crevard. Il n’en faut pas beaucoup aux hommes pour qu’ils vous damnent. Ils n’ont pas de temps à perdre, les hommes, c’est vrai, ils sont pressés, débordés, bousculés par tant de choses et d’êtres qui s’offrent à leurs yeux et sur lesquels il faut absolument qu’ils se fassent une idée précise, et sans délai, sous peine de passer pour de fieffés demeurés. Alors, pour se donner l’impression d’entendre l’existence, ils préfèrent jauger tout ça sommairement, comme ça, sur le vif, d’un coup d’œil jeté sur le tas, et puis édicter ce qu’est le bien et ce qu’est mal, que ceux-là sont bons et que ceux-ci sont méchants, et puis bomber le torse et penser encore à part soi qu’ils sont malins. Je n’étais pas de ceux qui vont au-delà des apparences pour ma part. Pas plus que les autres. La superficialité me convenait. Les mystiques, que j’ai toujours eu en horreur, perdent beaucoup de temps, il faut l’admettre, à essayer de comprendre les choses, à les examiner, à les expliquer, à les tourner et à les retourner encore jusqu’à ce que rien n’en demeure. En jouir suffit au sage. La superficialité en remède contre la fugacité. C’est mon avis.


Parmi les crevards il y avait quand même un d’instruit. C’était un ingénieur, un polytechnicien avec des idées pas de chez nous dont il a eu le loisir de m’en faire part pendant la traversée. Il fuyait le pays, lui, parce qu’il avait depuis deux ans les militaires au cul. Ils l’enjoignaient, m’a-t-il appris, avec des petits bouts de papiers qu’ils envoyaient chaque trimestre à son domicile, de rejoindre la caserne, et cela si instamment qu’il s’est résous à foutre le camp. ‘Monsieur Karim Blaktef nous te convions à te présenter dans les plus brefs délais à la caserne régionale d’El Bayeud et ce pour te soumettre au devoir de conscription, allez à tantôt mec et n’oublie pas de te dépêcher parce que sinon on sera au regret de t’y conduire à coup de coup de pied au cul’. C’était ainsi qu’ils le tarabustaient les miloufs, énormément, et sans relâche pour ainsi dire, qu’il m’a rapporté un peu dans son langage à lui. Mais son malheur à ce petit garçon lui venait de ce qu’il essayait de comprendre trop de choses à la fois. On n’a pas toujours un diable sous la main disposé à ce qu’on pactise avec. Dieu, la nation, la liberté, le droit et puis plein d’autres notions abstraites au sujet desquels je ne m’étais jamais posé la moindre question, le taraudaient terriblement. En plus de la conscription, bien entendu, à laquelle il voulait coute que coute échapper.


Les trois autres, c’était des miteux. Je ne me rappelle pas leur avoir adressé la parole. Ali, non plus. Dahmène nous a donné les dernières consignes avant le départ dans des termes très lapidaires, ‘pas de cigarette à bord, pas de portable, pas de chahut et pas de mouvements inutiles’. Le premier qui contreviendra au règlement sera jeté par-dessus bord, a-t-il conclu, ferme et autoritaire. Il nous a prié par la suite d’aller faire nos besoins et de fumer une dernière clope pendant qu’il mouillerait l’embarcation.


Nous avons pris place dans la felouque. Trois à bâbord, adossés au bastingage. Moi, Ali et l’ingé. Les trois autres nous faisaient face. Dahmène, le commandant de bord, restait derrière à la manœuvre. A une heure du matin, nous avons levé l’ancre. Le moteur a brui dans la nuit bercée par la rumeur de la mer. La lune, au loin, splendide, comme un médaillon dont se serait paré l’horizon, nous faisait face. L’Espagne aussi.
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