Les actes d’intolérance se multiplient Et revoilà l’inquisition drapée des oripeaux du rigorisme et de la
bienséance la plus chafouine qui frappe de nouveau ! Le fait : Djamila,
une jeune émigrée, et son cousin, ont été arrêtés le 1er septembre dans
un parking attenant au parc zoologique de Ben Aknoun alors qu’ils
s’apprêtaient à casser la croûte à bord de leur véhicule. Ils sont
embarqués manu militari au commissariat de Draria et placés en garde à
vue pendant 24 heures, avant de se voir transférés à la prison d’El
Harrach. Ils ne doivent leur salut qu’à l’intervention d’un personnage
haut placé qui a hâté leur libération. Malheureusement, le calvaire de
Djamila et son cousin n’a rien d’une petite fausse note dans un havre
de tolérance. Qu’on se souvienne de l’affaire des six personnes condamnées, le Ramadhan
dernier, à 4 ans de prison ferme par le tribunal de première instance
de Biskra. Il leur avait été reproché de s’être livrés à des jeux de
société, une bouteille d’eau gisant à côté d’eux. Ils finiront par être
acquittés grâce à la mobilisation de pans entiers de l’opinion,
scandalisés par cette chasse aux sorcières d’un autre âge. Rappelons
également le cas de ces trois manœuvres en bâtiment « surpris » sur un
chantier, à Alger, en train de griller une cigarette. Le châtiment
s’est voulu, également, aussi sévère qu’exemplaire. Le tribunal de Bir
Mourad Raïs les avait condamnés, le 30 septembre 2008, à 3 mois de
prison ferme avant que la cour d’appel ne revoie la sentence à la
baisse en les condamnant à 2 mois d’incarcération avec sursis, sachant
qu’ils avaient purgé cette même peine au titre de la détention
préventive.
La liberté de conscience aux ortiesIl est important de souligner que les magistrats ayant eu à statuer
sur ces cas ne s’appuient sur aucun texte clair. De fait, il n’existe
pas, dans le code pénal, d’article explicite, signalent les juristes,
qui condamne expressément les non-jeûneurs. L’action publique repose,
en l’occurrence, sur un article vague introduit dans le corpus
juridique à la faveur de l’amendement du code pénal et du code de
procédure pénale opéré en 2002. Il s’agit de l’article 144-bis 2 qui
dit : « Est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une
amende de 50 000 DA à 100 000 DA, ou de l’une de ces deux peines
seulement, quiconque offense le Prophète (paix et salut soient sur lui)
et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam,
que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre
moyen. » En l’espèce, on ne peut que constater « l’élasticité » du code
pénal qui laisse ainsi à l’appréciation du juge l’étendue de la peine à
infliger au contrevenant aux règles sacrées du Ramadhan. Dans ce même
ordre d’idées, il faut relever cette autre aberration qui consiste à
priver les ressortissants étrangers de toute possibilité de se
sustenter le jour, en période de jeûne. Cela a été observé y compris
dans des hôtels cotés, qui, pour nombre d’entre eux, poussent
l’inhospitalité jusqu’à refuser à leur clientèle non musulmane le
petit-déjeuner. Que de fois n’avons-nous entendu autour de nous nos
aînés évoquer, non sans une certaine nostalgie mâtinée de rage, une
Algérie beaucoup plus tolérante, plus ouverte, où il faisait bon vivre
malgré tout et où jeûneurs et non-jeûneurs se fréquentaient dans une
parfaite indulgence. A la lumière de ce qui vient de se passer à Ben
Aknoun, on mesure l’ampleur de la régression accusée par notre société
et l’emprise des pratiques inquisitrices qui ciblent avec acharnement
les « minorités » de toute sorte (qu’elles soient cultuelles ou
culturelles) qui se cramponnent à leur pays, l’Algérie, contre vents et
marées. Les exemples de cette intolérance tous azimuts ne manquent pas.
On se rappelle de l’épisode de Habiba K., cette citoyenne de Tiaret
condamnée en première instance à trois ans de prison. Son tort ? Elle
était en possession d’exemplaires de la Bible, elle qui s’était
convertie au christianisme. Citons aussi le tollé soulevé par les
miniatures qui illustrent l’excellent livre de cheikh Khaled Bentounès,
Soufisme, l’héritage commun, une levée de boucliers qui a mobilisé,
outre les forces fondamentalistes les plus obscures, des cercles
proches du pouvoir. Rappelons également la campagne de fermeture des
bars et autres night-clubs au pas de charge et le durcissement des
licences d’ouverture de débits de boissons, plongeant nos villes dans
un climat de « prohibition ». L’excès de zèle frisant le folklore qui a
entouré le Ramadhan des Verts lors de leur stage au cercle militaire de
Beni Messous, avant le choc Algérie-Zambie, qui a fait les choux gras
de certains médias (ENTV en tête), en a choqué plus d’un avec tous ces
reportages gentillets qui s’échinaient à mettre en évidence la piété et
l’atmosphère de khouchouâ dans laquelle le groupe évoluait en ce mois
sacré. Des titres sont allés jusqu’à comparer le match de dimanche
dernier à la bataille de Badr, avec un atavisme consommé où la
bigoterie le dispute au populisme en puisant à volonté dans la
mythologie fantastique d’un Islam fantasmé.
À quand des « espaces non-jeûneurs » ?Question naïve : à quand des espaces non-jeûneurs dans les
entreprises, dans les trains longs trajets, voire dans certains espaces
publics ? Il ne faut pas rêver, surtout à voir les campagnes policières
de chasse aux couples, aux harraga et aux non-jeûneurs se doubler d’un
effort médiatique sans précédent pour engouffrer définitivement la
société algérienne dans le Moyen-Âge. La tolérance, c’est l’affaire
d’institutions fortes, nous semble-t-il, dont les médias sont des
acteurs de premier plan.
Qu’un quotidien, Ennahar pour ne pas le
nommer, joue les procurateurs bondieusards en mettant, dans sa Une
d’hier, un jeune sur le point de mordre dans un sandwich, cela n’a
qu’un nom : la délation. Le journal titre en grosse manchette : « Des
cafés et des restaurants bafouant la sainteté du Ramadhan en plein
jour. » Dans le reportage qui pointe du doigt la Kabylie comme bastion
de la chrétienté et fief des anti-Ramadhan (un thème cher à une
certaine presse à sensation),
l’auteur du papier va jusqu’à dénoncer à
la police un groupe de récalcitrants pas très emballés par le rite du
carême. Mais les services de police n’ont pas jugé utile de rééditer
l’action musclée de leurs collègues de Ben Aknoun, regrette le cafteur.
Moralité : il apparaît urgent, dans cette Algérie déboussolée, cette
Algérie gangrenée par la haine et l’intolérance, de sonner la révolte
des citoyens libres et de susciter la mobilisation de tous afin de
récupérer tous ces espaces de liberté cédés.
Par Mustapha Benfodil Source :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]J'trouve ça juste lamentable...Si l'on en est encore là, ça nous promet vraiment de beaux jours à venir !! u_u'